INTERVIEW DE MAITRE SEDILLOT


Repères : voici bientôt 28 mois que l'affaire Olanguena a commencé. Comment comprendre votre implication seulement maintenant où on est rendu à la 7è audience?


Me RichARd Sedillot : La situation, vous le comprenez peut-être, est très difficile pour M. Olanguena qui est détenu depuis 28 mois alors que très nombreux sont ceux qui pensent, et notamment dans la communauté internationale, que rien ne peut lui être reproché. M. Olanguena a de très bons avocats au Cameroun qui le défendent très efficacement mais, j'ai quand même été contacté par le Fonds mondial de lutte contre le Sida, le paludisme et la tuberculose et par d'autres organisations internationales qui sont inquiètes, inquiètes du sort qui pourrait être réservé à M. Olanguena. Car, ce sort conditionne aussi, à mon avis, la crédibilité du Cameroun sur le plan international. Et c'est la raison pour laquelle il a été décidé que je pourrais venir aux côtés de mes confrères camerounais pour évoquer cette question internationale. Il ne s'agit pas pour moi, évidemment, de les remplacer comme vous pouvez l'imaginer. Alors, tout ça s'est organisé au fur et à mesure et c'est la raison pour laquelle je n'interviens que maintenant.



Vous apportez donc un démenti à l'opinion nationale qui pense que les avocats locaux qui suivent cette cause depuis pratiquement 28 mois sont désemparés et que vous venez à leur rescousse ?



Non, les avocats camerounais ne sont pas désemparés du tout. Ce sont des avocats talentueux qui connaissent très bien le dossier, j'en suis convaincu. Mais vous savez aujourd'hui, il est de plus en plus fréquent que les avocats s'entraident d'un pays à l'autre. Moi j'ai beaucoup d'affection pour mes confrères camerounais. Me Assamba est un de mes amis et donc, il m'a proposé aussi de travailler à ses côtés et j'en suis donc très fier. Les avocats camerounais font remarquablement bien leur travail.



Vous prenez la cause en cours. Est-ce que vous avez eu le temps de vous imprégner de ce dossier complexe de par les enjeux qu'elle charrie?



Oui, bien sûr. Mon emploi du temps pour tout vous dire ne m'avait pas permis de venir au Cameroun plus tôt. Mais bien évidemment, j'ai pu profiter de ces quelques mois pendant lesquels j'ai suivi le dossier pour étudier toutes les pièces et les rapports qu'on m'avait remis. J'ai ainsi pu constater notamment qu'il y a une opposition manifeste entre le rapport qui a été rédigé par l'inspecteur d'État d'une part, et tous les autres rapports qui disent bien et très clairement que rien ne peut être reproché à M. Olanguena.



Qu'est-ce qui, personnellement, fonde votre intérêt pour cette affaire ?



Écoutez... Il y a plusieurs raisons. Il y a les raisons affectives, moi j'aime beaucoup l'Afrique, j'y viens souvent. J'ai beaucoup d'amis avocats en Afrique avec lesquels je travaille avec toujours beaucoup de plaisir car, ce sont souvent des avocats très talentueux. Je suis aussi très ému de vous dire qu'une partie de la famille de M. Olanguena vit dans ma ville, à Rouen. Elle m'a beaucoup parlé de ce dossier, nous avons noué également des contacts à cette occasion. Et puis enfin, je me rends compte que M. Olanguena a fait un remarquable travail dans l'intérêt du Cameroun. Et je suis évidemment très surpris de constater qu'il est en prison depuis 28 mois alors que le Fonds mondial de lutte contre le Sida, la tuberculose et le paludisme, tous les gens que j'ai eus au téléphone et qui connaissent bien le dossier dans la communauté internationale me disent : « Rien ne peut lui être reproché. Mais, au contraire on avait là un très bon ministre de la Santé au Cameroun en qui on avait confiance, et on voulait que le Cameroun continue à aller sur la voie de l'éradication du VIH et puis là, tout va peut-être s'effondrer.» Alors, c'est autant mon souci de défendre M. Olanguena que mon souci aussi de voir le Cameroun continuer à jouer le rôle qui doit être le sien sur la scène internationale qui m'ont décidé à m'impliquer dans cette affaire.



Ce n'est donc pas dans la perspective d'empocher d'importants honoraires qui vous fait courir ?



Non, non, non. Vous savez je gagne assez d'argent en restant dans mon cabinet d'avocat en France qu'en venant au Cameroun.



Qui paie la note pour votre implication dans cette affaire ?



Ce sont la famille et les amis de l'ancien ministre de la Santé qui ont payé mon billet d'avion et ont pris en charge les frais d'hôtel. J'imagine donc que lui-même est peut-être incapable de le faire.



Comment entendez-vous organiser votre stratégie de défense alors que vous résidez en France, loin des prétoires camerounais ?



Eh bien, comme je vous le disais, je travaille avec des avocats camerounais qui, eux, sont sur place. Je viendrais de temps en temps les soutenir, je viendrai apporter ma pierre à l'édifice. Et il ne faut pas négliger le remarquable travail qui est fait par tous les avocats de Yaoundé qui, eux, sont ici toute l'année et qui peuvent donc suivre ce dossier sans problème.



Vous semblez optimiste mais avez-vous tenu compte de l'environnement politique dans lequel se déroule cette affaire ?



Écoutez, j'espère très sincèrement que chacun va se rendre compte que la condamnation de M. Olanguena, ce serait d'abord la condamnation certes d'un innocent, mais aussi la condamnation du Cameroun. Avant que vous ne m'interrogiez j'ai reçu des appels de plusieurs radios, notamment de Radio France international, qui s'intéresse aussi à ce dossier, qui veut en parler et qui me dit mais, que se passe-t-il ? Comment se fait-il que M. Olanguena soit en détention ? N'en va-t-il pas de la crédibilité du Cameroun qui a décidé de la mise en détention d'un homme que chacun juge parfaitement honnête ? Je crois que c'est tout de même une situation, si vous voulez, extrêmement défavorable au pays. Et donc, je souhaite très sincèrement qu'on puisse assister à la fin des poursuites à la lumière du rapport d'expertise qui a été rédigé à la demande du jugement d'instruction, par des experts nationaux, des experts intègres qui font partie des experts judiciaires camerounais qui disent qu'il n'y a pas eu un centime détourné. Je souhaite qu'on se base sur ce que dit le Fonds mondial de lutte contre le Sida qui dit également qu'il n'y a pas eu un centime détourné. Et je souhaite que, enfin, on se rende compte que l'inspecteur d'État que nous avons interrogé hier (mercredi 28 juillet), reconnaît lui-même qu'il a fait un travail bâclé. Puisqu'il a dit devant le tribunal : « Oui, je suis parvenu à des conclusions, je ne sais plus sur quels documents... je n'ai pas ces documents... Moi j'ai oublié... je suppose qu'ils existent... je ne sais plus... je ne me souviens plus... c'est mon collaborateur qui l'a écrit, je ne sais pas pourquoi il a écrit ça... » Voilà quels étaient les propos qu'il tenait hier devant le tribunal. C'était pathétique. Il reste quand même que ce procès s'inscrit dans le cadre général de ce qu'il est convenu d'appeler «opération épervier » qui, à la lumière des verdicts des premières affaires, ne laisse que très peu de chance aux accusés.



Alors, dans ces conditions comment comptez-vous procéder pour faire faire exception à la Justice ?



Écoutez monsieur. Moi je n'ai pas le pouvoir. Je ne suis pas président de la République, je ne suis pas ministre... Je veux dire pour faire triompher la vérité. L'avocat ne peut jamais rien imposer. L'avocat est là pour défendre une idée. Nous allons la défendre. Nous allons défendre le ministre. Nous allons défendre le travail qui a été le sien. Nous allons faire valoir que, encore une fois, son travail a été applaudi par la communauté internationale, que le président de la République lui-même, il y a quelques années dans un de ces discours, louait l'action de son ministre de la Santé. Et puis, j'espère que le tribunal se rendra compte que les poursuites sont de mauvaises p o u r s u i t e s. Maintenant, il y a toujours des aléas judiciaires. Mais je souhaite pour le Cameroun qu'il soit mis un terme à ce dossier dans des conditions favorables pour M. Olanguena. La manière dont se déroule jusqu'ici ce procès vous permet-il d'être optimiste pour la suite ?



Est-ce que vous avez le sentiment que les droits de la défense, les droits de l'accusé sont respectés ? Est-ce que la procédure, de votre point de vue, est menée dans les règles de l'art ?

 

Écoutez, j'ai été reçu hier avec beaucoup de chaleur par Mme le président, par ses deux accesseurs qui ont accepté que j'intervienne, que je pose des questions. Ils ont été d'une grande courtoisie. Je tiens à les remercier. Je pense que ce sont des magistrats très attentifs. Et je pense qu'il faut faire confiance à leur sens de la
Justice. Je suis convaincu qu'ils sauront faire la part des choses. Alors, ce qui m'inquiète un tout petit plus, pour tout vous dire, c'est que nous avons encore une fois des rapports parfaitement objectifs qui viennent dire que M. Olanguena n'a pas détourné un seul centime. De l'autre côté, nous avons le rapport de l'inspecteur d'État qui est venu bafouiller hier devant le tribunal, incapable de justifier le travail qui avait été le sien. Et la presse aujourd'hui s'en fait à juste titre l'écho. Mais ce qui est inquiétant c'est que malgré tout, M. Olanguena reste en détention. Et je ne comprends pas comment on peut justifier cette détention alors que la Cameroun a ratifié des instruments internationaux, protecteurs des droits de l'Homme. M. Olanguena offre toutes garanties de représentation. C'est un homme qui ne cherchera pas, bien évidemment, à fuir son pays. C'est un homme dont on se rend compte qu'il n'a pas commis de délit. Alors je crois qu'il faut que le procès se poursuive. Mais, je ne comprends pas les raisons qui justifient sa mise en détention. Et, à cet égard, je suis tout de même assez inquiet. Le Fonds mondial a donné sa position sur cette affaire.

 

Est-ce que vous qui êtes très proche de ce principal bailleur des programmes de lutte contre le sida, le paludisme, la tuberculose, est-ce que vous sentez comme un dépit ? Est-ce qu'il pourrait avoir comme des représailles sur les programmes, en tout cas sur les financements ?



Le Fonds mondial contre le Sida n'a qu'un objectif, vous savez. Et c'est faire usage des fonds dans les meilleures conditions possibles. Et, il ne s'agira jamais pour lui de faire preuve de représailles. Or, aujourd'hui nous savons, parce que les experts internationaux le disent, parce que même les experts nommés par le juge d'instruction le disent, que M. Olanguena a parfaitement bien géré ces fonds. Il est donc de l'intérêt du Cameroun que la politique qui a été initiée ici par lui se poursuive. Il est certain que les bailleurs de fonds, et c'est normal, regardent avec beaucoup d'attention l'usage qui est fait de ces fonds. Et quand un bailleur de fonds se rend compte qu'un ministre en fait un bon usage, dans l'intérêt de la population, dans l'intérêt des malades, dans l'intérêt des personnes qui sont infectées, dans l'intérêt de l'éradication de la maladie, alors évidemment, il a envie de soutenir cette politique. Donc, jamais le Fonds mondial ne fera de représailles. Et il est bien évident qu'il aura plus envie de soutenir un pays dans lequel un ministre comme M. Olanguena fait un bon usage des fonds qui lui sont confiés.

 

Est-ce que de manière générale l'affaire Olanguena pourrait avoir une incidence auprès des bailleurs de fonds ou auprès d'autres partenaires ?

 

Alors, je ne peux pas parler encore une fois au nom des bailleurs de fonds. Ça m'est un peu difficile. Mais ma petite expérience internationale me laisse quand même penser que, plus un pays fait un bon usage des fonds des bailleurs, plus il inspire confiance. Et nullement, on n'hésitera à lui confier les fonds. Vous comprenez. Quand les bailleurs de fonds viennent dire : «M. Olanguena a parfaitement bien géré les fonds», ils auront évidemment tendance à lui en confier à nouveau parce qu'il obtient de bons résultats. On est là face à ce que d'aucuns qualifieraient de procès kafkaïen.



Est-ce qu'au cours de votre carrière il vous est arrivé au Cameroun ou ailleurs dans le monde de défendre une cause similaire ?



Alors, vous savez, aucune cause n'est jamais similaire. Et j'ai défendu beaucoup de causes en France et dans d'assez nombreux pays à travers le monde. Je me rends compte que parfois les choses sont très, très difficiles mais que bien souvent, fort heureusement, nous avons à faire à des juges intelligents qui ont un sens de la morale, un sens du devoir, un sens de l'honneur ; et que les juges, lorsqu'ils se rendent à l'évidence, n'ont pas envie de condamner un innocent. Donc, même quand un procès est très difficile, il faut toujours espérer.



À la lumière de cette affaire Olanguena, quelle opinion vous faites-vous de la Justice camerounaise ?



C'est un peu difficile de répondre à une question aussi générale à l'occasion d'une seule affaire. Moi je vous dis, je suis assez surpris que M. Olanguena soit toujours en détention. Moi j'espère vraiment qu'il sera prochainement remis en liberté. Maintenant, je dois aussi saluer les magistrats que j'ai rencontrés hier qui m'ont accueilli avec beaucoup de gentillesse, beaucoup de courtoisie. Et qui, j'en suis sûr, sauront attacher toute l'importance qu'il convient de donner à cette affaire. Je pense que les juges ont besoin d'avocats, les avocats ont besoin de juges. Mais les juges ont besoin des avocats parce que les avocats éclairent le tribunal. Si nous avons à faire à des juges attentifs, humains et soucieux de la Justice, alors je pense qu'ils parviendront aux mêmes conclusions que les nôtres.



Entretien mené par Dominique Mbassi

 

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