Au tribunal : L'ex-Minsanté clame son innocence



Présents sur le banc à eux réservé, les 5 autres accusés plaident également non coupables. Manque à l'appel Yves Soue Mbella, évadé de la prison centrale de Kondengui après avoir faussé compagnie à ses geôliers à l'occasion d'un rendez-vous de routine avec son médecin au Centre hospitalier universitaire (Chu) de Yaoundé.

Premier témoin de l'accusation à comparaître, l'inspecteur d'Etat Gilbert Bayoï. Le 9 juin 2010, devant le Tgi du Mfoundi, le chef de la mission du Contrôle supérieur de l'Etat (Consupe) en charge du contrôle de la gestion des programmes de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose au ministère de la Santé, révèle qu'au cours de la mission de contrôle au Minsanté, le Consupe a constaté de nombreuses irrégularités sous forme de fautes de gestion et de malversations financières. Le rapport du Consupe épingle, au passage, la gestion de l'ex-Minsanté. Urbain Olanguena Awono est, tour à tour, accusé d'avoir indûment payé la somme de 23 millions Fcfa au personnel de la Caa ; d'avoir utilisé des fonds destinés à la lutte contre le vih-sida pour la production d'un livre personnel, «Sida en terre d'Afrique». Coût de l'opération : 11,79 millions Fcfa. Le rapport dénonce, par ailleurs, le bicéphalisme managérial entre le Dr Wang et le Dr Okala, en même temps que le Dr Feuzeu, Mme Chia Rose et Cheick Arouna sont accusés de malversations.
Pour contester les conclusions du rapport du Consupe qui l'accuse, l'ex-Minsanté doit affronter, dans un face-à-face épique, l'inspecteur d'Etat Gilbert Bayoï, témoin de l'accusation, dans ce qui se révèlera être l'un des tournants du procès.

Ce 23 juin 2010, pour la première fois depuis l'ouverture de son procès, Urbain Olanguena Awono prendra véritablement la parole devant la barre du Tgi du Mfoundi siégeant en matières criminelles. Pour contester les faits portés à sa charge et restituer sa part de vérité. C'était à l'occasion de l'interrogatoire du témoin de l'accusation.
D'entrée de jeu, M. Olanguena fixe le cadre de son intervention : «Je n'ai pas détourné un seul centime de l'Etat. J'ai travaillé pour mon pays dans le strict respect de la loi et de la morale. C'est cela la vérité. Le reste relève du mensonge, de la calomnie et de la manipulation politique sous le prétexte judicaire. Sur la base des conclusions de votre rapport, j'ai été initialement accusé du détournement de 14,8 milliards Fcfa. Mais les bailleurs de fonds, le juge d'instruction et les experts judiciaires, ont ramené ce montant à 0 franc. Le Fonds mondial de lutte contre le sida, quant à lui, dit qu'il n'y a pas eu malversation dans l'usage des fonds alloués à la lutte contre le sida. Comment vous expliquez cela au monde ?»
- «Ces bailleurs de fonds, rétorque le témoin, sont les seuls à pouvoir expliquer pourquoi les 14 milliards Fcfa ont été ramenés à 0 franc. Pour ma part, mon équipe a travaillé sur la base des documents qui lui ont été présentés et nous sommes arrivés à nos conclusions. Celles des autres ne m'engagent en rien.»

- Savez-vous, s'enquiert M. Olanguena, qu'un ministre de la Santé qui détourne un médicament est un criminel et, avec 7 milliards Fcfa détournés, avez-vous eu à connaître la procédure d'achat des médicaments ? Si non, comment pouvez-vous accuser sans vérification ?
- Notre mission ne consistait pas à vérifier la Cename, dans laquelle une mission venait de séjourner. J'ai dit qu'on a émis des réserves. Je pense qu'en pareil cas, nous désignons un rapporteur qui repart sur le terrain pour clarifier les points sombres pour que le Consupe se détermine en connaissance de cause. Les 7 milliards ont été mis de côté par l'ordonnance de renvoi pour des investigations futures.
- Votre rapport de mission, accuse l'ex-Minsanté, ne m'a pas été restitué, en violation du principe du contradictoire.
- Nous vous avons, rétorque Bayoï, adressé 3 demandes d'audience pour discuter verbalement, mais les portes nous sont restées fermées et j'ai rédigé une demande d'explication en bonne et due forme à laquelle vous avez répondu, après mon refus de restitution du rapport. J'estime avoir épuisé toutes les étapes de la contradiction.
- Avez-vous eu connaissance, s'enquiert l'accusé, de la lettre de félicitations du vice-président de la Banque mondiale au gouvernement sur la gestion des programmes ?
- Nous n'avons pas pu obtenir de vous ces documents. Ils ne nous ont pas été présentés et nous ne pouvions donc pas en prendre connaissance.
Sur l'accusation de financement du livre «Sida en terre d'Afrique» avec les fonds du programme sida dont l'auteur est Urbain Olanguena, Me Assamba interroge le témoin : «Comment un livre qui est sorti de l'imprimerie en octobre 2006 peut-il être financé par le Comité national de lutte contre le sida (Cnls) en janvier 2007 ? Le Cnls ne devait-il pas acquérir ce livre comme il l'a fait, en payant un chèque aux éditions Privat ?»

Pour son interlocuteur, ce qui a importé le plus, c'est la prise en charge de l'ouvrage par l'organisme. «Le ministre a produit un ouvrage, nous nous sommes dit qu'il devait en financer la production au lieu de puiser dans les fonds de lutte contre le sida.» Pour Me Assamba, le livre a été produit par les éditions Privat et le Cnls l'a acquis comme simple client.
A la suite de Gilbert Bayoï, le chef de file des experts judiciaires, Delon Dissake et le Dr Elat, actuel secrétaire permanent du groupe technique central du Cnls témoigneront à leur tour. Le rapport de l'expert conclut à l'absence de détournement de deniers publics, de même que le secrétaire permanent disculpera les accusés de son exposé.
Dernier fait majeur : lors de l'audition de M. Mpouli, à l'audience du 18 mai 2011, le tribunal statue sans la défense qui avait soulevé une exception de nullité d'ordre public pour violation d'une règle de procédure pénale, et donc des droits de la défense. Le problème ? Des faits nouveaux, contenus dans l'ordonnance de renvoi et sur lesquels l'accusé n'a été ni entendu, ni inculpé à l'information, mais dont il doit répondre.

E. M. (MUTATIONS, 08 juin 2011)

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