Me Antoine MONG : LES JUGES N’INSPIRENT PAS CONFIANCE



S'agissant des abus relevés dans la conduite de l'information judiciaire, nous avons surtout décrié et dénoncé le refus catégorique qui nous a été opposé, par le juge d'instruction, chaque fois que nous lui avons adressé une demande de délivrance, à nos frais, comme le prévoit le code de procédure pénale, des pièces de la procédure. Nous avons par ailleurs dénoncé la disjonction qui a été faite du volet de l'inculpation concernant notre client l'ex-ministre de la Santé publique et le Dr Hubert Wang, lié à la gestion et à la fourniture des médicaments au ministère de la Santé par la Centrale nationale du médicament (Cename). Toutes les pièces justificatives de la fourniture et de la gestion transparentes des médicaments par la Cename ont été produites et le juge d'instruction, qui n'avait aucun élément sérieux pour retenir cette accusation, même au vu du rapport de l'expertise judiciaire qu'il a ordonnée, a préféré ordonner une disjonction de procédure et, depuis août 2010, nous sommes sans nouvelle de ce dernier volet du dossier malgré nos multiples relances.!


Que dire de cette ordonnance de renvoi, qui revoit à la baisse le montant des sommes détournées par M. Olanguena, et sous quels chefs d'accusations est-il renvoyé ?

Pour l'ordonnance de non lieu partiel et de renvoi, qui revoit à la baisse le montant des sommes prétendument détournées, elle ne nous satisfait pas parce que, même les chefs d'accusation retenus contre notre client manquent de consistance et ne peuvent résister à un examen sérieux.
S'agissant des chefs d'accusation retenus, et pour lesquels il est renvoyé devant le tribunal de grande instance du Mfoundi, il y a le détournement de la somme de 200 millions Fcfa liée au protocole signé avec l'Association camerounaise de marketing social (Acms) ; le détournement de la somme de 11,190 millions Fcfa liée au financement de la production du livre «Le sida en terre d'Afrique» ; le détournement de la somme de 80,864 millions Fcfa relative au marché attribué à la société Vision Sarl ; le détournement de la somme de 122 millions Fcfa relative au marché de fourniture du matériel de sensibilisation (dépliants) avec les Ong, et la tentative de détournement de la somme de 60 millions Fcfa.

La procédure, telle que conduite devant le Tgi du Mfoundi, vous paraît-elle équitable ? Autrement dit, les juges vous inspirent-ils confiance ?

La procédure ne nous semble pas totalement équitable. Nous constatons, pour le déplorer, que le collège des juges chargés de connaître de cette procédure a tendance à faire la part belle au parquet, dont toutes les demandes sont toujours favorablement accueillies, alors que certaines demandes de la défense, même quand elles se fondent sur des dispositions légales, sont souvent méconnues. Nous prenons par exemple le libre choix, par l'avocat, de ses moyens de défense que le Tribunal a bien souvent tendance à contester.

Nous constatons, par ailleurs, un laxisme certain dans la conduite des débats : les audiences commencent toujours tard, même quand la salle est libre, et généralement les accusés et leurs conseils sont bien souvent fatigués avant le début des audiences, parce qu'ils sont obligés d'attendre pendant plusieurs heures le début de l'audience. Au regard des débats devant le Tgi, nous restons sereins parce que notre client a opté pour la stratégie consistant à démontrer son innocence, face aux divers chefs d'accusation qui sont portés contre lui. Il est vrai que les juges ne nous inspirent pas totalement confiance. Nous avons, souvent, l'impression qu'ils ont peur de juger certaines causes.

Etes-vous satisfait de la manière dont la justice est administrée dans le cadre de cette affaire, et quel est l'état d'esprit de votre client, 36 mois après le déclenchement des poursuites ?

La défense de l'ex-Minsanté n'est pas satisfaite de la manière dont la justice est administrée dans le cadre de cette affaire. Nous constatons beaucoup de lenteurs. Plus de 15 mois après le démarrage de ce procès, nous sommes encore sur l'audition des premiers témoins de l'accusation. Au rythme où nous évoluons, il nous faudra peut-être 3 années de procédure, au moins, avant l'intervention d'une décision devant le tribunal. Par ailleurs, le moral de notre client est au beau fixe parce qu'il est convaincu de son innocence. Mais, à certains moments, il n'est pas loin de craquer. Surtout quand il a l'impression que le tribunal ne prend pas en compte le fait qu'il soit en détention depuis 36 mois, et cautionne les manœuvres dilatoires de certaines parties au procès.


Avez-vous l'impression que les juges de l'«Opération épervier» ont les mains libres, et que pensez-vous des différentes interpellations ainsi que la manière dont est administrée la justice?

Les juges de l'«Opération épervier» donnent l'impression d'avoir les mains libres, mais il n'en est rien. Quand ils ne reçoivent pas d'instructions, ils sont sous une telle pression qu'en définitive, ils ont peur ; surtout pour leur carrière s'ils osent rendre des décisions qui ne plaisent pas au pouvoir exécutif. Nous avons souvent l'impression que les interpellations, dans le cadre de cette opération, interviennent pour faire plaisir à l'opinion publique internationale, quand il ne s'agit pas tout simplement de règlements de comptes politiques, ou autres.

Telle qu'elle est conduite actuellement, l'«Opération épervier» n'est pas de nature à assainir véritablement les mœurs publiques. Elle est tellement sélective que l'immense majorité des Camerounais restent convaincus que l'impunité, qui s'est pratiquement érigée en système, reste la règle.

Propos recueillis par Evariste Menounga

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